Interview avec Jean-Sébastien Zippert

, par Ekkehart Schmidt

Depuis 2003 Jean-Sébastien Zippert travaille comme coordinateur d’etika, suivant Barbara Gimnich, Laure Belin et Thomas Dahm. Née en 1973 il grandi en Alsace, faisait ses études à partir de 1991 à Mulhouse avant de travailler à Paris. Depuis 1999 il travaille au Luxembourg.

Raconte nous un peu ton parcours d’un petite village alsacien au Luxembourg !
J’avais orienté mes études vers l’informatique, ce qui m’a amené à travailler d’abord à Paris dans une société d’informatique financière pour mon premier employeur. J’ai eu l’opportunité de venir au Luxembourg en 1999, ce qui me convenait d’ailleurs mieux car Paris est une capitale où il fait mieux vivre en touriste qu’en tant que résident !

Je me suis petit à petit rendu compte que je n’étais pas heureux dans ce métier parce que je ne pouvais m’y réaliser professionnellement. De plus cela devenait à

terme dangereux pour ma santé mentale : je risquais de devenir schizophrène car j’étais devenu militant d’ATTAC Luxembourg en 2000 et il me paraissait de plus en plus difficile de percevoir un salaire issu indirectement de l’industrie financière pour dénoncer celle-ci pendant mon temps libre !

Tu bases ton travail sur des valeurs assez claire et conséquent. Comment-t-ils se sont développées ?
Comme dit c’est à travers les information diffusés par ATTAC et en particulier la première université d’été d’ATTAC France en 2000 que ma conviction s’est faite que le capitalisme financier tel qu’il fonctionne aujourd’hui n’est pas un système ni viable ni souhaitable et ce y compris pour les pays dit ‘développés’ dans la mesure où il génère des inégalités insupportables sur toute la planète, sans oublier son influence majeure en faveur des modes de production les plus dommageables pour le climat et l’environnement qui sont toujours les plus rentables sur un optique de court terme. Ce qui compte particulièrement pour moi est de d’apporter ma contribution pour mettre en place des alternatives concrètes visant à ce que l’outil bancaire et financier soit remis à sa place, c’est-à-dire au service des besoins humains. Ce qui compte surtout n’est pas seulement de dénoncer les dérives du capitalisme financier, mais aussi de proposer des alternatives concrètes, quel que soit le pouvoir de décision ou d’action que nous avons entre les mains.

Comment est-ce que ça se faisait que t’es venu chez etika ? T’avais déjà des contacts avec la finance sociale ?
J’avais - avant de travailler pour etika - déjà ouvert un compte à la Nef en France et je m’intéressais de près à ce milieu dans la mesure où il permettait de financer ‘ici et maintenant’ des activités économiques allant dans le sens d’une meilleures production respectueuse de l’humain et de l’environnement. Sinon le milieu des asbl luxembourgeoises n’était pas trop inconnu pour moi puisque nous étions régulièrement amenés avec ATTAC Luxembourg à travailler avec les autres acteurs de la société civile luxembourgeoise.

Quand tu commençais chez etika est-ce qu’il fallait changer beaucoup dans l’administration (etc…) ?
Quand j’ai démarré en 2003 j’étais le seul salarié sur une base de 30 heures par semaine. Il fallait revoir tous les dossiers de crédit en cours et mettre à jour l’informatique ce qui n’était pas trop compliqué vu mon background ! Je me concentrai surtout sur la promotion du mécanisme EA aussi bien vers les épargnants que les preneurs de crédit potentiels. Petit à petit les thématiques de sensibilisation en dehors de la pure promotion sont arrivées avec l’ouverture d’un poste de salarié chargé des relations publiques dès 2006.

Quels sont les plus grands succès du travail de etika depuis 2003 ?
Je dirai avant tout d’avoir pu prouver en vingt ans et bien avant que toutes les autres institutions financières de la place ne s’emparent des termes de « finance verte » ou « socialement responsable »que il était possible de monter un mécanisme durable permettant la responsabilité, la transparence te la solidarité entre épargnants t et preneurs de crédits. Nous sommes maintenant visibles dans l’espace public plus seulement comme un acteur de la finance responsable mais aussi comme une voix indépendante et libre qui va à la fois apporter une information souvent inédite et j’espère utile au débat démocratique sur l’influence centrale qu’occupe notre système financier sur nos vies.

Tu peux donner un exemple ?
Bon, si on prend le cas de la sensibilisation sur la justice fiscale, je ne peux que constater que ce thème qui était très mal perçu (et c’est peu de le dire) dans le début des années 2000 est devenu aujourd’hui central dans le débat public. La population résidente au Luxembourg mais également les travailleurs frontaliers actifs dans le secteur tertiaire ont progressivement accepté l’idée qu’il fallait débattre de ces aspects la car un modèle de société viable doit aussi s’inscrire sur des relations équilibrées avec les pays voisins comme avec ceux dits ‘en voie de développement’.

Evidemment. Mais ce thème n’est pas le cœur de notre métier …
Non. L’autre grand chantier reste à mon sens de mobiliser la population pour une reprise en main citoyenne du système financier : car dehors de son impact négatif sur les aspects purs et durs de justice fiscale déjà évoqués, il revient de rassembler et de mobiliser les personnes déjà bien sensibilisées sur des thématiques aussi diverses que l’accroissement phénoménal des inégalités au Nord comme au Sud, …

… 8 milliardaires qui pèsent autant que la moitié de l’humanité…
Oui, cela donne quand même un peu à réfléchir. Mais il y a aussi la crise des migrants , le changement climatique, la montée en puissance des pouvoirs autoritaires etc… On ne peut raisonnablement combattre ces injustices et ces dysfonctionnements graves qui menacent directement la survie de l’espèce humaine sur terre dans un moyen terme qu’en ayant une vision radicale (c’est-à-dire en prenant les problèmes à la racine) et donc en ne faisant pas l’économie de s’attaquer au fonctionnement du système financier mondial. Ajoutons à cela que tous les indicateurs montrant que ce système est aujourd’hui bien plus instable qu’il ne l’était la veille de la chute de Lehman Brothers en 2008,et nous voyons bien en quoi cette tâche est capitale ! Le chemin est encore long mais nous y arriverons !

Ou tu vois etika en dix ans ?
Difficile de faire des pronostics mais je pense que 10 ans nous aurons mis sur le marché d’autres produits complémentaires au compte EA comme par exemple des produits d’assurances prenant en compte des critères extra-financiers dans leurs stratégies d’investissement car la demande pour ce type de produit suit avec parfais plusieurs années de retard celle des produits d’investissement simples. Je pense que etika aura encore gagné du poids comme prescripteur en conseillant des investisseurs institutionnels comme le fonds de compensation ou des investisseurs privés qui auront tous intégré que le choix d’investir avec des critères sociaux et environnementaux est non seulement bon pour leur image mais aussi excellent pour la stabilité de leur investissement !

Enfin je pense que le discours critique que nous menons vis à vis du capitalisme financier aura porté ses fruits non seulement au Luxembourg mais également en Europe et que nous aurons à nouveau à nous féliciter d’un système bancaire qui sera au service de la communauté avec laquelle il interagit !

Merci !

Interview publié dans etikaINFO 54, octobre 2017