L’investissement socialement responsable, une chance pour la place luxembourgeoise

, par Jean-Sébastien Zippert

C’était le thème de la conférence que etika a organisé en partenariat avec l’ALFI en novembre 2007. De nombreux professionnels du secteur financier ont attentivement écouté les arguments avancés par les intervenants actifs dans ce domaine. Il est clairement apparu que la place financière a une belle carte à jouer dans ce secteur en plein développement, à condition qu’elle s’en donne les moyens.

La soirée a débuté avec quelques rappels qui ont défini la notion d’ISR aussi bien par rapport à des repères historiques que religieux. Le fait de prendre en compte des critères non financiers dans une politique d’investissement n’est pas une nouveauté en soi : c’est ainsi que Christian Descoups, intervenant au nom du groupe de travail ISR de l’ALFI a évoqué que les Quakers avaient déjà intégré des critères éthiques dans leur investissements dès les années 20 au Etats-Unis. Ce type d’investissement moral ou éthique a ensuite connu un nouvel essor pendant la période des années 60-70 avec les boycotts visant les entreprises américaines (guerre du Vietnam) et sud-africaine en raison de l’apartheid. Les critères d’exclusion ont l’avantage d’être très faciles à mettre en oeuvre et sont encore aujourd’hui très populaires dans le monde de la finance anglo-saxonne. Cette forte imprégnation morale des ISR, essentiellement basée sur des critères d’exclusion visant à écarter les investissements d’activités coupables – les ’sin-stocks’ – a perduré jusque dans le début des années 90 : c’est à ce moment que sont apparus les premiers fonds d’investissement considérant des critères positifs ou d’inclusion.

Selon Bernard Bayot, directeur du réseau Financement Alternatif en Belgique, ces fonds dits de deuxième génération permettent à l’investisseur de marquer une préférence pour des activités économiques en fonction d’un critère (l’émission de gaz à effet de serre par exemple) et d’encourager celles-ci dans le bon chemin plutôt qu’une exclusion qui ne va rien modifier quant au comportement des entreprises exclues.

Les fonds de troisième génération intègrent quant à eux la prise en compte de tous les secteurs de la durabilité sociale et environnementale au lieu d’un seul. Enfin, les fonds de quatrième génération tiennent compte de des contributions de toutes les parties prenantes de l’entreprise auditée : bien évidemment les actionnaires, dirigeants, salariés, syndicats de l’entreprise mais aussi les riverains de ses sites de production, ses sous-traitants et ONG en relation avec celle-ci. D’autre fonds sont ensuite apparus, n’évaluant pas l’entièreté du spectre des activités économiques mais se spécialisant sur un secteur précis. Ces fonds dits thématiques investissent exclusivement dans des domaines d’activité favorisant le développement durable comme les énergies renouvelables, le microcrédit etc.

Les orateurs de la conférence de droite à gauche : Dirk Coeckelbergh, Bernard Bayot, Christian Descoups, Mike Mathias

Dirk Coeckelbergh, responsable de la ligne ISR pour le Crédit Agricole en Belgique, s’est ensuite concentré sur les facteurs de succès pour les institutions financières qui souhaiteraient démarrer ou renforcer une offre de produits de ce type vers leur clientèle. Il s’est pour ceci basé sur l’historique des acteurs de l’ISR en Belgique, dont la communauté financière a compris très rapidement les avantages qu’elle avait à retirer de ces produits. La Belgique est encore aujourd’hui un des pays européens leader sur ce secteur.

Ce sont d’abord les croissances de ce marché qui sont entre 2 et 10 fois supérieurs au marché de l’investissement tout secteur confondu – suivant l’acception d’un ISR au sens strict (fonds de troisième ou quatrième génération) ou large du terme – qui doivent être prises en compte. A terme les ISR devraient peser entre 10 et 15 % des investissements globaux.

La vitalité de ce marché au niveau européen est soutenue par différents facteurs. La demande vient bien sur des investisseurs privés mais aussi - et c’est nouveau - des investisseurs institutionnels qui cherchent à diversifier leurs placements. De nombreuses autorités publiques émettent des appels d’offres européens pour prendre en charge la gestion de leurs fonds de pensions avec des critères socialement responsables. Les encours de ces fonds variant de quelques centaines de millions à plusieurs centaines milliards d’euros, ils ne peuvent plus être ignorés par la communauté financière.

Mais le métier de l’ISR ne s’improvise pas et un acteur de la place souhaitant s’engager dans cette voie doit certaines règles de base s’il veut récolter les fruits de ses efforts.

Une telle démarche nécessite bien sur un engagement fort de la direction de la banque : si celle-ci n’est pas absolument convaincue par l’intérêt stratégique de ce type de placements, l’aventure risque de tourner court. De même, la direction doit impulser sa volonté vers ses départements communication et marketing qui ont un rôle majeur à jouer aussi bien vers les salariés que les tiers de la banque.

Tout acteur qui souhaite entrer et se maintenir sur ce marché doit penser à établir et asseoir sa crédibilité. Cela veut dire que le promoteur doit prouver qu’il est absolument transparent entre son discours et ses actes. Cette transparence s’applique donc aussi bien sur la publication des critères (d’inclusion et d’exclusion) qu’il entend appliquer dans la sélection de ses actifs, mais aussi sur la méthodologie qu’il met en œuvre dans le travail de sélection proprement dit. Il faut bien entendu se donner les moyens dans de ses ambitions. De nombreuses banques belges avaient d’abord confié cette tâche à des agences de notations indépendante comme Ethibel ont depuis internalisé cette fonction : elles ont créé un département d’analyse dédié à la notation des entreprises des critères environnementaux et sociaux. La création d’un tel département ne peut pas se faire à la légère et la banque doit bien prendre en compte qu’une information de qualité a un coût. C’est la stratégie que KBC a suivie. Elle est aujourd’hui reconnue comme un acteur crédible en Belgique de par sa politique de grande transparence. La transparence absolue reviendrait à publier en plus des informations précitées la liste des entreprises sélectionnées comme seule Ethibel le fait à cette heure. De son coté, Fortis a suivi une autre route consistant à travailler de concert avec la Croix Rouge ou des asbl actives dans l’environnement ou le social.

Un autre point majeur à considérer est la commercialisation du produit, qui a souvent été limitée à une suite d’arguments faisant appel à la morale et aux bons sentiments de l’investisseur, au détriment de la mise en valeur des qualités financières intrinsèques du produit. La commercialisation de produits ISR doit se faire comme celle d’un produit traditionnel, sachant que les performances de ces produits sont comparables aux produits non ISR. En effet, si il existe des produits dits de partage ou de solidarité qui distribuent une partie de la plus-value réalisés vers un tiers (ONG ou asbl) la majorité des investisseurs va rechercher la performance avant tout et tout argumentaire ne rentrant pas dans ce schéma aura un effet dissuasif.

Si la transparence et la crédibilité du produit est établie, le promoteur doit également songer à bâtir une stratégie de long terme et faire par contre très attention à être cohérent dans sa démarche : démarrer,arrêter voire redémarrer des fonds de type ISR, revoir ses critères de sélection et méthodologiques à la baisse ou changer continuellement ceux-ci donnent un mauvais signal au marché et risquent aussi de discréditer durablement celui-ci par rapport à ses pairs, ses clients voire la presse et la société civile.

S’engager franchement dans le marché, commercialiser les produits ISR comme un produit traditionnel, impliquer les départements communication et marketing dans celle-ci, investir en conséquence dans une méthodologie transparente, tels sont donc les clés de succès pour entrer dans ce marché. En tant qu’association de promotion de l’ISR au Luxembourg, etika continuera son travail de sensibilisation pour que la deuxième place mondiale d’administration des fonds puisse se positionner comme un lieu de d’accueil de prédilection des fonds ISR.

Jean-Sébastien Zippert