Ne pas répéter les erreurs du passé

, par Ekkehart Schmidt

Article de Jean-Sébastien Zippert, coordinateur de etika, paru dans Le Jeudi du 5 janvier 2012 :

L’année qui vient de se terminer a démontré que les dogmes qui ont présidé à la construction de la monnaie unique nous mènent aujourd’hui droit dans le mur. La situation actuelle exige de nos gouvernements qu’ils sortent du carcan institutionnel dans lequel ils se sont enfermés, sous peine d’une explosion sociale.

2011 aura été l’année de l’apocalypse, à comprendre non pas dans son acception commune de fin du monde, mais dans le sens de révélation : révélation sur les irréparables tares de conception de la monnaie européenne et des statuts de la BCE, voulues comme indépendantes des souverainetés populaires. Contrairement aux autres puissances mondiales, la zone euro est la seule qui ait interdit à sa banque centrale de financer directement ses pays membres, faisant des marchés de capitaux les juges et parties de nos politiques publiques.

Refusant de sortir de l’impasse dans laquelle ils se sont mis, les gouvernements de la zone euro appliquent la loi d’airain qui leur est dès lors imposée par la logique mortifère des marchés, aggravant par des plans d’austérité de plus en plus brutaux la récession généralisée, impliquant la baisse des recettes fiscales, elle-même responsable de la détérioration des dettes, etc… Errare humanum est, perseverare diabolicum : le piège se referme même sur des Etats dont l’on pensait jusqu’à peu intouchables, du fait de leur réputation d’emprunteurs.

Pendant ce temps, les populations de ces même pays – qui ont déjà avalé à leurs frais le sauvetage de la finance, puis assisté, stupéfié, à son retournement contre les Etats qui l’avaient secourue et, pire encore, la voient exiger de ces derniers des politiques de rigueur n’ayant d’autre finalité que d’éviter au secteur bancaire de nouvelles pertes – ces populations ne peuvent que constater la mort de leur souveraineté et leur dépossession de tout pouvoir politique réel, à l’image de la Grèce désormais sous la coupe de la troïka du FMI, de la Commission européenne et de la BCE. Les électeurs italiens sont logés à la même enseigne, gouvernés par des dirigeants prétendument apolitiques, en fait clairement au service des institutions financières privées.

Tout ça ne pourra pas durer indéfiniment : la construction économique de l’euro finira par s’effondrer sous le poids de ses propres contradictions et l’on s’approche chaque jour davantage du point critique de la panique financière. Celle-ci, ne laissant plus que les banques centrales comme uniques institutions capables, avec le risque que le refus de la BCE conduise au réarmement forcé des banques centrales nationales, conduira probablement à l’éclatement de l’euro.

Cette crise est aussi une opportunité historique de renverser l’ordre néolibéral, l’occasion de se débarrasser des « experts » qui, des décennies durant, ont expliqué au bas peuple que l’ordre du monde est idéal, que contester celui-ci revenait à nier la loi de la gravitation, qu’au demeurant la construction européenne telle qu’elle est, est aussi intouchable dans sa perfection même. Les citoyens européens ne se laisseront pas indéfiniment dépouiller de leurs prérogatives souveraines. L’histoire nous a appris que ceux-ci peuvent se réapproprier leur souveraineté par la violence, au risque de tomber dans les bras des partis nationalistes et xénophobes. Il est encore temps de changer de cap pour remettre en cause le fonctionnement de la monnaie, sachant que la marge de manœuvre s’amenuise chaque jour.