Article publié dans l’édition du 29 septembre 2007 du [Letzëbuerger Land->www.land.lu]

Plus d’investissements verts pour moins de pesticides

, par Jean-Sébastien Zippert

L’association etika - Initiativ fir Alternativ Finanzéierung existe depuis 10 ans. Elle retrace dans une série d’articles l’évolution des secteurs de l’économie luxembourgeoise qu’elle a soutenu. L’agriculture biologique est traitée pour ce mois.

Depuis 1996, etika s’engage dans la promotion active d’une finance socialement responsable. Les fondateurs d’etika voulaient interpeller la société civile et politique sur la plus-value que la société avait à retirer de ces investissements, mais aussi proposer des produits d’investissement garantissant une responsabilité et une transparence aux résidents luxembourgeois. C’est ainsi que le compte Epargne Alternative a été créé, en coopération avec la Banque et Caisse d’Epargne d’Etat, Luxembourg (BCEE). Au cours des dix dernières années ce mécanisme a ainsi soutenu plus de 125 projets dans ce domaine.

L’idée d’une finance socialement responsable n’est pas neuve. Les premières expériences dans ce domaine sont d’ailleurs issues du milieu agricole. Dès le XIXième siècle, ce sont les caisses Raiffeisen qui ont été les premières à mutualiser les risques liés aux prêts pour les agriculteurs, leur évitant ainsi de se faire ruiner par les usuriers. Dans les années 20, les communautés religieuses des Quakers établirent des règles de gestion : l’engagement financier dans le secteur de l’alcool, du jeu ou du tabac était proscrit. Les Quakers avaient également introduit le concept d’un impôt de la paix, qui devrait permettre à ceux qui le souhaitaient d’éviter que leurs impôts soient destinés au financement de dépenses militaires.
Dans les années 70, le mouvement pacifiste exigeait « pas d’argent pour la guerre du Vietnam et pour l’Apartheid ». C’était précisément à cette époque que la GLS Gemeinschaftsbank a vu le jour en Allemagne. Quelques années plus tard, les institutions financières comme l’Ökobank en Allemagne ou Alternative Bank Schweiz ont été créées.
Ces investisseurs ont un but clair : faire du bénéfice, mais pas n’importe comment. La dégradation environnementale ou l’exploitation des enfants travailleurs/esclaves implique qu’un investissement ne peut plus se déterminer sur des critères exclusivement financiers.

Rudolf Steiner est surtout connu pour être le père fondateur du mouvement biodynamique et pour avoir fondé une méthode éducative qui lui a survécu. Peu de personnes savent par contre que sa doctrine, l’anthroposophie, a également inspiré les premières banques « éthiques » comme la Triodos au Pays-Bas, la GLS-Bank en Allemagne et la Nef en France.

Dans l’Europe de l’après-guerre, les populations vivaient dans la pénurie et toute politique agricole visait à une augmentation de la production alimentaire. Ce productivisme s’était fortement ancré d’abord dans les politiques nationales et ensuite dans la politique agricole commune (PAC) de l’Union européenne. Les mauvaises récoltes devenaient de plus en plus rares grâce à l’usage d’engrais artificiels qui pouvaient compenser, au moins pendant une période, l’épuisement du sol. L’usage de ces engrais a été combiné avec l’épandage massif de pesticides, qui évitaient les ravages causés par toute sorte de parasites.

Ce productivisme appliqué à outrance a conduit à ce que l’offre a rapidement excédé la demande depuis la fin des années 70. Cette surproduction n’a pas tardé à alerter des consciences citoyennes. D’abord parce que la destruction régulière des stocks alimentaires était considérée comme un scandale en soi dans un monde ou des millions de gens meurent de faim ou de malnutrition. Ensuite parce que les conséquences néfastes de l’emploi massif de pesticides sur l’environnement et la santé devenaient de plus en plus préoccupante. Le scandale qui a récemment éclaté dans les Antilles françaises illustre tristement cette situation. Le nombre de personnes souffrant d’une allergie alimentaire, ou ayant développé un cancer suite à une dégradation de l’environnement a ainsi fortement augmenté ces dernières décennies. Le sol, les cours d’eau et la nappe phréatique ont de plus en plus été polluées par des substances nocives, notamment par des nitrates. La biodiversité paye un lourd tribu à cette pollution : la chaîne alimentaire de nombreuses espèces a été détruite suite à la disparition d’insectes qui constituent leur base alimentaire ont disparu ou fortement diminué suite à l’emploi de pesticides.
Ces phénomènes ont amené de nombreuses personnes à changer leurs habitudes de consommation. Les premiers magasins biologiques ont pu ouvrir leurs portes. Au fil des années même les supermarchés « conventionels » ont commencé à offrir et par la suite élargir une gamme de produits issus de l’agriculture biologique. Au Luxembourg, NATURATA est la première chaîne de supermarchés exclusivement biologique, avec six magasins sur tout le territoire national. Cette chaîne de magasin a été crée par BIOG, une coopérative agricole composées de 30 producteurs biologiques.

L’agriculture biologique a un impact très positif en termes d’émissions de gaz à effet de serre comparée à l’agriculture productiviste.

Si la préoccupation portait auparavant surtout l’emploi de pesticides et engrais artificiels, d’autres dérives liées au productivisme ont éclaté au grand jour : ainsi les crises liées à l’élevage intensif (vache folle, peste porcine, grippe aviaire) ont durablement accentué la méfiance des consommateurs. La mise en champ de cultures transgéniques, bien que rejetées par 70 % des citoyens européens a encore accentué le malaise devant une agriculture dominée par la technoscience.

Il n’y a pour l’instant aucune manière de tester au préalable l’impact sur l’être humain d’une modification de l’information génétique d’une plante alimentaire. Les consommateurs craignent un effect négatif à long terme sur leur santé. Ce qui n’est pas à exclure en vue du fait que la plupart des modifications génétiques visent à faire produire un pesticide contre des parasites par la plante même.
Il y a en Europe déjà des agriculteurs qui ont accepté de tester les plantes génétiquement modifiées sur leur exploitation. Il est vrai que la transformation génétique est inhérente à chaque espèce vivante. C’est de cette manière qu’elle s’adapte à un environnement changeant. La différence entre la transformation et la modification génétique est que la première se fait graduellement et naturellement, la deuxième brusquement dans un laboratoire. L’organisme de l’homme qui consomme ces plantes génétiquement modifiées n’a donc pas le temps de s’adapter. L’agriculture biologique est la seule à garantir de ne pas employer des OGM. 

Toute entreprise a besoin de financements, soit pour effectuer des investissements à long terme, soit pour couvrir un besoin financier temporaire. Il est vrai que les banques « traditionelles » accordent des prêts aux agriculteurs biologiques, mais comme il s’agit d’un marché relativement nouveau et que les exploitations sont souvent de petite taille, une prime de risque est souvent ajoutée au taux d’intérêt. Cette situation est aggravée par le fait que le marché des produits biologiques est relativement restreint et la volatilité est donc plus importante que dans le marché de produits alimentaires issues de l’agriculture traditionnelle. Un petit changement dans les habitudes des consommateurs peut donc causer des fluctuations énormes dans les ventes.
La taille modeste du marché au Luxembourg rend la distribution de produits relativement coûteuse, augmentant le besoin d’investissements initiaux d’envergure. L’incidence des coûts fixes est ainsi plus important dans ce secteur. Mais il a besoin aussi de moyens financiers pour mieux faire connaître ses produits et leurs avantages pour le consommateur à travers des campagnes d’informations et de marketing.

Jos Schanck est un pionnier de l’agriculture biologique qui a bénéficié de trois crédits alternatifs.

En dix ans, le nombre d’exploitations biologiques luxembourgeoises à plus que triplé, et les surfaces cultivées en bio ont été multipliées par 6. Aujourd’hui l’agriculture biologique luxembourgeoise occupe 2,8 % des terres cultivables, ce qui reste évidemment insuffisant. (Source : Administration des Services Techniques de l’Agriculture du Luxembourg)

Depuis la création du mécanisme, etika ainsi soutenu 6 exploitations biologiques et biodynamiques et 6 commerces de distribution biologique. Ces entreprises ont bénéficié ainsi d’une bonification d’intérêt. Aujourd’hui, le soutien à la production et à la commercialisation des produits biologiques représente 29 pour cent du volume de nos crédits.

Il apparaît clairement que l’agriculture biologique a encore un long chemin à faire, mais le potentiel de croissance reste fort, vu la taille relativement petite du marché. L’agriculture biologique est aujourd’hui définitivement sortie de sa petite niche dans laquelle elle était encore jusqu’au milieu des années 90.

Stefan Pardo et Jean–Sébastien Zippert

Article paru dans le Land du 28 septembre 2007