Le Luxembourg cité comme un des pays attractifs pour le crime organisé

, par Ekkehart Schmidt

Paradis fiscaux, gouvernements parfois gangrenés par la corruption, excès de bureaucratie : tous ces travers permettent au crime organisé de prospérer en Europe, ont déploré le 9 février trois hauts magistrats lors d’une réunion à Bruxelles. L’Italien Piero Grasso (photo), l’Espagnol José Ramon Norena Salto et le Serbe Milijko Radislavjevic, tous trois procureurs, participaient à un séminaire sur la lutte contre le crime organisé à l’initiative du groupe socialiste au Parlement européen. Tous trois sont spécialisés dans la lutte contre les mafias, le trafic de drogue et la corruption, et ont collaboré à diverses opérations contre le crime organisé. Selon eux, l’Union européenne est bien démunie face aux crimes organisés, car elle n’a pas encore pris conscience de sa dimension internationale et sa législation est insuffisante.

Dans le monde, « on estime le chiffre d’affaires du crime organisé à 128 milliards de dollars par an, dont 105 milliards pour le trafic de stupéfiants, et ce ne sont que des estimations », a souligné Piero Grasso. « Ils cherchent les pays où ils peuvent cacher ces revenus, les blanchir pour ensuite les investir dans des activités licites, ce qui pose le problème des paradis fiscaux, notamment dans l’Union européenne », a-t-il précisé. « Les pays de l’UE qui pratiquent le secret bancaire sont un problème », a-t-il insisté. « Au Luxembourg, le contrat avec le client prévoit qu’il soit averti s’il fait l’objet d’une enquête, ce qui lui permet de retirer ses fonds », a-t-il déploré. « Le secret bancaire ne devrait pas exister », a estimé M. Grasso. Ce sujet divise les Etats de l’UE depuis des années.

Les mafias aiment également les gouvernements faibles, perméables à la corruption, a renchéri son homologue serbe. Milijko Radislavjevic a refusé d’être plus explicite, mais il a admis que « les pays des Balkans occidentaux et les pays de l’Europe de l’Est sont intéressants pour le crime organisé ». « Ce sont des pays qui ne peuvent pas lutter », a-t-il souligné. « La dimension internationale du crime organisé est une menace pour les pays. Il peut désorganiser l’économie », a-t-il insisté. « Ce serait une erreur de croire que l’on peut résoudre le problème au seul niveau national », a-t-il conclu. « Toutes les organisations criminelles dans le monde ont des liens entre elles. Elles travaillent par petites unités de quelques hommes de nationalités diverses sur une opération spécifique », a expliqué l’Italien Piero Grasso.

L’Union européenne est à la traîne face à des criminels qui jouent avec la mondialisation et maîtrisent les nouvelles technologies. Les coopérations entre institutions sont trop lentes, trop lourdes, trop bureaucratiques, a déploré son homologue espagnol José Ramon Norena Salto. La lutte doit viser à « désarticuler les réseaux », « détruire leurs marchés », « saisir le maximum de leurs biens » et « rendre leurs placements impossibles », a-t-il dit. « Pour cela, nous avons besoin d’agir ensemble, d’harmoniser les normes et de nous doter de ressources technologiques », a insisté M. Grasso. Le sujet devrait être discuté par les ministres de l’Intérieur de l’UE lors de leur prochaine réunion les 25 et 25 février à Bruxelles.

Pietro Grasso est un juge de 64 ans, il est plus précisément procureur antimafia depuis 2005. Une vingtaine d’années en arrière il avait participé au maxiprocesso en compagnie de Falcone et de Borsellino (les deux juges assassinés par Cosa Nostra en 1992), il a depuis massivement œuvré contre tout ce qui touche de près ou de loin à la mafia.

Source : AFP, le quotidien (10.02.11)