Entreprise « éthique » avez-vous dit ?
Aujourd’hui le marché financier offre la possibilité à tout épargnant, investisseur, gestionnaire de fonds d’investir dans des entreprises « éthiques ». Mais que signifie ce terme « éthique » ? Qui le détermine ? Comment en évaluer la teneur ? Et, surtout, comment s’assurer que les sociétés sélectionnées respectent réellement ces critères « éthiques » ?
Questions pertinentes, certes oui ! Tout l’essor des placements socialement responsables repose sur la crédibilité de l’éthique !
Mais qu’entend-on par entreprise « éthique » ?
Le concept d’investissement éthique n’est pas une nouveauté. Né en 1920 aux Etats-Unis sous la pression des congrégations religieuses, son principe était simple : exclure des choix d’investissement certaines entreprises en fonction de leurs activités de production. Par exemple, refus d’investir dans des sociétés liées au tabac, à l’alcool, à la pornographie, à l’industrie du jeu et à l’armement. Les critères « éthiques » correspondaient donc au départ, essentiellement à des critères d’exclusion.
En revanche, à partir des années 1990, à côté des critères d’exclusion traditionnels, apparaissent des critères positifs de sélection. Positifs car au lieu de rejeter certaines entreprises, on les compare entre elles et on sélectionne celles affichant une réelle responsabilité vis à vis de la société - responsabilité sur le plan social, environnemental et financier.
Ce concept de sélection positive marque un changement majeur dans l’investissement éthique : perçu auparavant principalement comme un moyen d’afficher son opposition, comme un instrument de boycott, il tend vers 1990, à ouvrir un dialogue plus constructif avec le monde de l’entreprise.
Mais qui évalue ces entreprises ?
Soit ce sont les banques ou les sociétés de gestion en charge de fonds éthiques qui sélectionnent elles-mêmes, grâce à un comité d’experts propre, les entreprises jugées socialement responsables ; soit bien souvent, elles font appel à des agences de notation spécialisées qui identifient, pour elles, les entreprises aux approches sociales et environnementales intéressantes.
En Belgique, les deux agences de référence sont Ethibel (via Stock at Stake) et Triodos Research. Leurs principaux homologues européens sont Eiris en Grande-Bretagne, SAM (Sustainable Asset Management) en Suisse, Arese en France, et bien d’autres encore ?
Mais attardons-nous sur ces dernières afin de tenter une brève comparaison de leur méthodologie, des critères usités et de la profondeur de leur analyse.
Un canevas commun existe bien entendu au sein de ces experts de l’ « économiquement correct », où la grande difficulté est de mettre en place des approches objectives et fiables.
Le travail d’analyse débute par une recherche d’information poussée sur l’entreprise. Différents niveaux d’information sont généralement exploités :
les sources d’informations traditionnelles : les rapports annuels, les rapports de gestion internes, les brochures, les communiqués de presse, les sites web des entreprises, les revues financières, les revues spécialisées dans le secteur de l’entreprise, etc.
les questionnaires élaborés par les agences de notation elles-mêmes.
les visites d’entreprises, les entretiens avec les dirigeants, les consultations d’experts et de « stakeholders » (parties prenantes de l’entreprise).
Déjà à ce niveau-ci, soulignons quelques différences d’approches marquantes entre ces agences de notation. Ethibel, reconnu pour la profondeur de ses analyses, considère les visites et les contacts directs avec les différentes parties prenantes de la société comme la clé de voûte de la recherche d’information. « Ethibel engagera durant l’étude un dialogue actif avec les dirigeants de l’entreprise, les travailleurs, les syndicats, les riverains et toutes les autres parties qui sont directement ou indirectement concernées par l’entreprise ». D’autres agences, telle que SAM en Suisse par exemple, fonde sa principale source d’information sur le questionnaire destiné aux responsables de l’entreprise. Questionnaire dont SAM tente d’assurer l’objectivité en limitant les réponses qualitatives par l’insertion de nombreuses questions à choix multiples. Cette approche unique du questionnaire est bien souvent critiquée car si cette méthode permet certes un traitement rapide et massif des données, comment en assurer l’objectivité ? Pour Arese, « le questionnaire ne peut, en aucun cas, constituer l’outil principal d’évaluation, c’est plutôt une manière de rentrer en contact avec l’entreprise ». Triodos Research se défend également de ne pouvoir concevoir une évaluation d’entreprise sans dialogue direct.
Une fois l’information récoltée, les agences de notation vont pouvoir procéder à l’évaluation proprement dite des sociétés. Chaque organisme a bien entendu ses nuances en matière de critères éthiques, de méthodologie et de grilles d’évaluation. Toutefois, une base commune tend aussi à se profiler.
Les trois grandes catégories de critères d’évaluation suivantes sont toujours présentes, avec des degrés d’importance divers :
les critères sociaux : gestion des ressources humaines (conditions de travail, qualité, formation, salaires, « turn-over »), relation de l’entreprise avec les autorités locales, avec les pays en voie de développement, par rapport au respect des droits de l’Homme, sa contribution dans des oeuvres sociales et culturelles, ?
les critères environnementaux : minimalisation des impacts sur l’environnement, gestion des risques, protection des ressources naturelles, gestion des émissions, des transports, implication et sensibilisation des stakeholders, ?
les critères économiques : pérennité financière, potentiel économique, risques économiques, respect des clients, relations avec les actionnaires, les autorités, les fournisseurs, ?
La méthodologie d’évaluation la plus courante, se base sur une approche sectorielle. Cette dernière permet non seulement de comparer les entreprises entre-elles au sein d’un même secteur mais facilite également l’identification d’entreprises pionnières.
Ethibel, par exemple, détermine sur base d’une combinaison de critères quantitatifs et qualitatifs un benchmarking sectoriel, l’équivalent d’un seuil minimal auquel toute entreprise devrait répondre. Précisons que pour Ethibel, les critères sociaux, environnementaux et économiques ont la même pondération. Hors de question donc de sélectionner une entreprise pionnière en termes environnementaux mais avec des lacunes en gestion de ressources humaines par exemple. Triodos Research applique le principe de « best 50% », c’est à dire qu’il sélectionne les entreprises dont le résultat d’évaluation est supérieur à la moyenne du secteur. SAM applique le principe de « best of class », la meilleure entreprise de sa catégorie. L’avantage de ces approches sectorielles est de stimuler les entreprises vers un comportement responsable.
Eiris, l’agence de notation anglaise, a une approche très différente dans le sens où elle ne fournit pas réellement une liste de sociétés « économiquement correctes » pour investir. Eiris a plutôt mis sur pied une base de données incluant le profil environnemental et social de plus de 1500 entreprises cotées sur les marchés londonien et européen. L’objectif recherché est de fournir aux clients l’information nécessaire pour mettre en pratique leurs propres principes éthiques. Le client détermine à l’aide de plus de 300 indicateurs environnementaux et sociaux son profil éthique, la base de données lui fournira ensuite les entreprises répondant à ses exigences.
Et comment s’assurer que les sociétés sélectionnées respectent réellement ces critères « éthiques » ?
Cette dernière question est certes la plus difficile à traiter et quelles que soient les procédures de contrôle mises en place, une marge de confiance devra toujours être accordée à l’entreprise sélectionnée.
Néanmoins, les agences de notation sont les mieux à même pour se porter garantes du respect des critères. Triodos Research et Ethibel ont comme politique de ré-évaluer l’entreprise sélectionnée de manière approfondie tous les trois ans. En outre, les entreprises sont suivies de façon permanente tout au long de l’année. Si un problème venait à se manifester, l’exclusion de l’entreprise peut s’avérer immédiate. Citons, à titre d’exemple, la société Marks & Spencer qui s’est vue retirée du registre d’investissement d’Ethibel suite à l’absence de transparence et de consultation lors de l’annonce de la fermeture d’une série de magasins. Une telle rigueur ne semble pas transparaître chez Arese, Eiris et Sam.
D’autres acteurs ont également ce rôle de garant à jouer ; d’une part, les organismes de protection des consommateurs, de promotion de l’investissement éthique, ? en interpellant les sociétés de notation, les banques, les entreprises, ? Et, d’autre part, l’investisseur en étant vigilant sur la qualité de « l’éthique » qui lui est proposée ?
L’avenir des sociétés de notation ?
Croissance, professionnalisme, reconnaissance et internationalisation semblent être leur avenir. D’ailleurs, un projet déjà en cours, le SIRI Group (Sustainable Investment Research International), regroupant 12 agences de notation en Europe, Amérique et Asie, poursuit l’objectif de créer une plate-forme de collecte d’information commune. Les dangers possibles ? Harmoniser l’ « éthique », l’enfermer dans un carcan, restreindre, étant donné les différences de qualité et de profondeur des méthodes d’évaluation, au plus petit dénominateur commun les méthodes d’évaluation ?
A l’investisseur de rester vigilant ! Et même si l’éthique ne peut jamais être garantie à 100%, ne vaut-il pas mieux stimuler les entreprises qui tentent de s’engager dans la voie du développement durable ?
Alexandra Demoustiez,
Chargée de R&D
Interface Septembre 2001