Un investissement à la fois solidaire et international

, par Jean-Sébastien Zippert

Dans la série d’articles précédemment publiés dans le Land à l’occasion du dixième anniversaire de etika- Initiativ fir Alternativ Finanzéierung asbl, nous avons traité des différents secteurs d’activités à plus-value sociale ou environnementale que etika avait soutenu au moyen de crédits alternatifs à taux bonifiés mis en place conjointement avec la BCEE. Ce mois-ci, nous clôturons la série sur l’action de etika dans le domaine de la coopération internationale.

Jean-Sébastien Zippert

Lorsque etika a été fondée en 1996, la coopération internationale était un des trois domaines prioritaires d’investissement, au même titre que la préservation de l’environnement et l’action sociale. L’organisation non gouvernementale (ONG) de développement Action Solidarité Tiers Monde (ASTM), le Cercle de Coopération des ONG de développement et la Fondation Caritas Luxembourg se sont toutes les trois engagées dans l’association. Il s’agissait pour elles de mettre en pratique des mécanismes d’investissement alternatifs à ceux existants entre le Nord et le Sud et qui ne profitent que rarement aux populations locales. Contrairement à la finance traditionnelle, la finance sociale a pour objet de créer des liens de solidarité entre un investisseur et un porteur de projet à vocation écologique ou sociale. Ce lien de solidarité est pour la plupart du temps également un lien de proximité qui s’inscrit dans un territoire donné, mais il peut aussi se développer au delà des frontières d’un pays ou d’un continent. Ce n’est d’ailleurs pas un hasard si les grandes banques éthiques fondées en Europe pendant les années 70 ont toutes développé des produits de solidarité internationale, et que le premier fonds éthique français lancé en 1983 était destiné exclusivement au développement des pays du Tiers-Monde.

Au Luxembourg, le secteur de la coopération internationale a connu de profonds changements dans les dernières années. En l’espace de seulement deux décennies, notre pays a rejoint le club très restreint des cinq pays industrialisés (avec le Danemark, la Norvège, les Pays-Bas et la Suède) respectant l’engagement de consacrer au moins 0,7 % de leur PIB dans l’aide publique au développement. Rappelons que cet engagement a déjà été pris au début des années 70 par tous les états membres de l’ONU et a été confirmé en 2000 dans le cadre des objectifs du millénaire pour le développement. En 2006, le pourcentage de cet engagement atteignait 0,88 %, contre 0,18 % en 1988 ! La Coopération luxembourgeoise dispose d’une direction propre au sein Ministère des Affaires Etrangères et d’un Ministre dédié à ces activités depuis 1999. L’agence d’exécution de la coopération bilatérale (LuxDevelopment) qui était à sa fondation en 1978 destinée à faciliter l’ouverture de marchés étrangers aux entreprises luxembourgeoises, est aujourd’hui exclusivement consacrée à la coopération. LuxDevelopment emploie 70 personnes et implémente les projets bilatéraux de la coopération luxembourgeoises dans les continents africains, asiatiques et sud américains.

L’engagement fort des pouvoirs publics luxembourgeois a eu pour conséquence que le nombre d’ONG luxembourgeoises a connu une très grande croissance. La Direction de la Coopération et de l’Action humanitaire a ainsi agréé 82 ONG de développement en 2007. Comme leur nom l’indique, ces organisations ont pour objectif d’intervenir dans les pays de la périphérie - pays en voie de développement - afin d’améliorer les conditions de vie des populations résidentes par des soutiens logistiques et financiers, des actions d’éducation populaire, d’aide à la production agricole vivrière, etc. Une autre activité de ses ONG consiste à mener des démarches de sensibilisation dans les pays du Nord de façon à ce que les gouvernements des pays industrialisés changent leurs politiques de coopération vis-à-vis de leurs homologues du Sud.

Dès le début de ses activités, etika s’est engagée dans cette voie de la coopération internationale. Etika a ainsi octroyé des crédits alternatifs à de nombreuses ONG dont ADA - Appui au Développement Autonome, l’ONG FNEL - Eclaireurs et éclaireuses pour le développement communautaire - sans oublier le Cercle des ONGD et l’Action Solidarité Tiers Monde - ASTM précités. Le volume en crédit comparé aux secteurs de l’environnement et de l’action sociale est modeste car les ONG luxembourgeoises font de manière générale rarement appel au crédit bancaire pour financer leurs activités. En effet, le transfert des fonds d’un crédit et leur remboursement après quelqes années sont des opérations assez complexes et soumis à de nombreuses restrictions dans certains pays. A cela s’ajoute que les garanties demandées par les Banques européennes pour ce genre de « micro-crédit » sont telles que l’opération ne devient plus rentable. C’est ainsi que les fonds des projets des ONG sont principalement alimentées par les subsides publics et les dons de leurs membres et sympathisants. Etika est souvent intervenue dans le cadre de préfinancement consistant à octroyer un crédit de pont à une ONG qui a obtenu un accord de financement public dans l’attente de ce financement.

Aujourd’hui l’action de etika dans la coopération internationale est principalement concentrée sur deux secteurs qui ont pris une grande ampleur ces cinq dernières années : il s’agit du soutien au commerce équitable et à la microfinance.


Un producteur de sucre de canne péruvien partenaire de Tranfair Minka

C’est ainsi que etika soutient par l’octroi de ligne de crédit la trésorerie des Boutiques du Monde et de Transfair-Minka, bien connues du public luxembourgeois pour leur engagement dans la promotion et la distribution de produits alimentaires et artisanaux issus du commerce équitable. Le dynamisme de ces deux associations fait que le Luxembourg est le deuxième pays européen pour la consommation de produits labellisés FairTrade par habitant sur un total de 25 (Source : enquête International Fair Trade Association de 2005). Le grand mérite du commerce équitable est qu’il a permis la création d’un lien direct entre les consommateurs du Nord et les producteurs du Sud. Même si le commerce équitable reste faible en volume par rapport au commerce traditionnel, 63 % des luxembourgeois connaissent le logo TransFair (sondage ILRES, 2005) et le public a pu être sensibilisé de manière très concrète aux négociations internationales sur ces sujet à l’OMC, négociations favorisant rarement les producteurs du Sud.

Un autre grand champ d’application des crédits alternatifs est le soutien à la microfinance. Dès 1999, etika avait accordé un crédit alternatif à SOS Faim et à l’ASTM pour leur engagement auprès des Caisses d’épargne et de crédit solidaire au Bénin CBDIBA. Le principe de la microfinance rappelle d’ailleurs les premières expériences de finance sociale expérimentées par Raiffeisen dans l’Allemagne du XIXième siècle : il s’agissait de donner un accès au crédit à une population en capacité de créer de la richesse mais n’ayant pas accès au crédit bancaire. L’idée consiste à mutualiser à la fois l’épargne et les crédits des petits paysans pauvres, de façon à leur permettre d’emprunter de petites sommes leur permettant d’acheter des semences et du matériel agricole sans faire appel aux usuriers qui les auraient immanquablement ruinés.

Aujourd’hui, moins de la moitié de la population des pays en voie de développement a accès aux services financiers de base, en Afrique c’est le cas pour seulement pour un foyer sur cinq (Source : rapport de la banque mondiale de 2007). Or les services financiers sont tout à fait essentiels pour sortir une population de la pauvreté : les mêmes arguments qui sont introduits pour justifier des interventions publiques en matière de santé et d’éducation, considérés comme des droits fondamentaux, pourraient eux aussi être apportés en matière financière, tels que l’incapacité constatée du marché de satisfaire pleinement ces besoins. Les services financiers sont, comme l’éducation et la santé, des services dont l’utilité collective est supérieure à la somme des utilités individuelles. Il y a donc un gain collectif à l’absence d’exclusion pour certaines fractions de la population. Ce gain collectif justifie une intervention publique dans le domaine et le prix à payer par la collectivité afin que chacun-e ait un accès réel à certains services en la matière ; la définition des services minimums en la matière dépend des modes de vie et de financiarisation des sociétés.


Une bergerie en Amérique Latine financée par une IMF du programme LUXMINT

C’est dans cette philosophie que LUXMINT a été lancé par ADA. Ce fonds a la vocation de soutenir les institutions de microfinance (IMF) qui, bien qu’elles puissent justifier d’une gestion rigoureuse de leur clientèle, restent dépendantes de subsides publics. ADA s’est donnée pour mission de les accompagner sur une durée de un à trois ans afin de les aider à se renforcer de façon à ce qu’elles puissent gagner en autonomie et accéder aux sources de financement privées. Le fonds a été soutenu au départ par des subsides du de la Coopération luxembourgeoise, subsides dits à fonds perdu. Or ces subsides ont toujours été remboursés par les IMF soutenues à LUXMINT et ils ont pu être réinjectés ainsi dans le circuit économique. Etika a investi l’équivalent de 380.000 euros sous forme de crédit alternatif dans ce fonds. Au 31 décembre 2007, LUXMINT totalisait un encours de plus de 1,3 millions d’euros, réparti sous forme de prêts, de garanties et de participations en capital à 17 IMF.

En plus des crédits alternatifs, etika a également engagé ses fonds propres en achetant des parts de coopérateur dans l’asbl belge Alterfin, elle aussi spécialisée dans l’accompagnement financier et de formation du personnels des IMF des pays du Sud.

Dans la continuité de son engagement pour une finance à la fois transparente, responsable et solidaire, etika étudie avec ses partenaires financiers, la mise en place de nouveaux produits exclusivement destinés au développement international, sachant que la demande pour ces véhicules d’investissement va en s’accroissant.

Cet article a été publié dans le Land du 29 février 2008.