Les orateurs de la conférence de gauche à droite : Alexandra Demoustiez, Kirein Franck, Christian Rousseau, Mickaël Hellier
Les entreprises cotées sur les marchés boursiers sont soumises depuis longtemps à des évaluations fréquentes de leurs performances financières et comptables. Cette mission de contrôle est dévolue à des réviseurs externes, ainsi qu’à des agences de notation spécialisées. L’évaluation, ou la note attribuée à l’entreprise, détermine notamment sa capacité à réaliser des bénéfices futurs et constitue le principal critère de sélection pour les investisseurs privés comme institutionnels.
Mais, depuis les années 90, les entreprises font face à une nouvelle forme de contrôle issue non pas des milieux financiers mais de la société civile et ont pu être amenées, par la contrainte de campagnes mettant en cause leur image, à justifier voire à réformer leur politique sociale et environnementale dans leur pays d’origine mais aussi dans leurs filiales étrangères. Ainsi les révélations sur les conditions de travail des sous-traitants de Nike en Asie du Sud ont conduit la société à les améliorer considérablement et la campagne massive de Greenpeace a contraint Shell à renoncer à enfouir la plate-forme pétrolière Brent Spar dans l’océan comme initialement prévu.
Aujourd’hui les gestionnaires des fonds de pension ou des organismes de placement collectif ont intégré le fait qu’une partie sans cesse grandissante de leur clientèle exige que leurs actifs soit investis dans des entreprises non seulement performantes sur un point de vue financier mais également sur des critères sociaux et environnementaux.
Or la normalisation de ces critères, qui se prêtent mal à un traitement automatisé, est moins aisée que celle des données purement comptables et financières. A l’initiative de certaines ONG et de professionnels du secteur financier conscients de cette demande de transparence non satisfaite par le rating financier, des agences de notation prenant en compte les aspects sociaux et environnementaux liés à une activité économique se sont créés dans la plupart des pays industrialisés. Mais quelles sont les méthodes de travail de ces agences et comment surmontent-elles les difficultés inhérentes à un tel défi ?
C’est pour répondre à ces questions qu’ en partenariat avec l’Institut de la Formation Bancaire, Luxembourg (IFBL), Etika a invité trois représentants d’instituts et de société actives dans l’évaluation sociale et environnementale des entreprises :
– Kirein Franck, responsable de IMUG (agence de rating allemande) ;
– Christian Rousseau, responsable marketing et ventes du groupe Ethibel ( dont dépend Stock at Stake, agence de rating belge) ;
– Mickaël Hellier, responsable commercial de Vigeo, (agence de rating française).
La conférence, tenue à l’auditorium de la Banque de Luxembourg, a été animée par Alexandra Demoustiez, du Réseau pour le Financement Alternatif, auteur du Guide des placements éthiques et solidaires (Edition LABOR).
C’est ainsi que le public composé de professionnels de la finance comme de responsables associatifs a pu interroger ces agences, originaires de chaque pays frontalier du Luxembourg, sur leurs méthodes de travail.
Le marché du rating social et environnemental étant relativement jeune (les trois agences présentes ont toutes été fondées dans le courant des années 90), les méthodologies présentées différaient sur certains points. Elles se sont néanmoins toutes positionnées sur les questions suivantes :
Comment déterminer les critères éthiques ?
Contrairement au rating financier qui s’appuie sur des normes comptables et financières internationales, le rating éthique n’obéit pas à une norme reconnue et les critères de sélection varient suivant les méthodologies utilisées. La définition des critères de responsabilité sociale ou environnementale est déterminée sur la base de textes fondateurs (charte des droits de l’homme, directives de l’UE, recommandations de l’OCDE, par exemple en matière de gouvernement d’entreprise etc.) ou sur des valeurs liées à un groupe social fondé sur des valeurs communes.
Ainsi certains secteurs industriels sont considérés par certaines agences comme non éthiques et reçoivent une note défavorable, voire sont éliminées d’emblée (industrie du tabac, de l’armement, industrie de production de semences transgéniques, etc ?), alors que d’autres agences considèrent que ce n’est pas le métier, le secteur d’activités ou la production de l’entreprise qu’il faut noter, mais uniquement sa politique sociale et environnementale.
Comment travaillent les agences de rating et quels sont les défis rencontrés ?
Ces sociétés de rating n’ayant ni la vocation ni les moyens humains ou financiers de conduire un audit sur le site des entreprises (a fortiori lorsque celle-ci sont présentes sur plusieurs continents), le rating se fait essentiellement sur la consultation de la communication institutionnelle des entreprises, mais aussi des contacts avec les syndicats actifs dans l’entreprise, les rapports ou contacts avec des ONG ayant une opinion sur l’entreprise, les procès intentés à la dite entreprises, les bases de données spécialisées, la presse etc.
Les analyses de ces critères éthiques doivent tenir compte de la culture du pays où est implantée l’entreprise ou sa filiale, car les critères éthiques tels que déterminés en Occident ne sont pas toujours identiques dans d’autres cultures.
La valeur absolue du rating, ou la meilleure note, est déterminée par la pratique. En d’autres termes, l’entreprise la plus avancée au plan social ou environnemental va déterminer le » benchmark » (ou l’étalon) de l’échelle de comparaison. Cette note est normalement révisée sur une base annuelle, mais elle peut être rapidement adaptée pour tenir compte d’un événement modifiant radicalement la donne (ex : catastrophe écologique). Une entreprise sera toujours évaluée par rapport à celles appartenant au même secteur et située dans la même région d’origine (Europe, Amérique du Nord, Asie-Pacifique) : certains critères sont en effet plus marqués dans un secteur dans un autre (il y a, de fait, plus d’accidents du travail dans les entreprises du bâtiment que dans celles du développement de logiciels). De plus, le rating doit prendre en compte le maximum de critères liés à l’ interactions avec ses partenaires (qu’ils soient humains ou environnementaux) et pondérer chacun d’eux afin d’obtenir une notation globale. Ainsi, une entreprise qui licencie ses salariés alors qu’elle fait des bénéfices pourrait très bien avoir une note globale favorable car sa politique de formation de son personnel et son engagement très fort dans le respect de l’environnement sont les meilleurs de sa catégorie.
Les agences de rating considèrent que l’effort de transparence des sociétés notées/évaluées est un facteur qui doit leur apporter un rating favorable, sachant que un manque d’information de sa part (qu’il soit volontaire ou non) est considéré comme un manque de volonté de communiquer.
Ces agences sont rémunérées par les entreprises qu’elles sont chargées d’évaluer ou par des gestionnaires de fonds qui peuvent ainsi labelliser les fonds suivant le nombre de sociétés dont la note éthique moyenne dépasse une limite. L’investisseur final ne connaît donc pas le détail de la notation d’une entreprise contenue dans le fonds mais bien le profil général des entreprises contenues dans le fonds. Le rating éthique ne peut donc pas être utilisé par un entreprise comme label en direction du grand public pour se donner une image de marque.
A l’instar de la notation strictement financière, le rating éthique est sujet aux contraintes du temps. Des erreurs sont également possibles : l’entreprise évaluée peut avoir volontairement dissimulé des informations, et un rating éthique, tout comme un rating comptable, est toujours basé sur des données passées et ne peut présager du comportement futur de l’entreprise
Bien qu’une concurrence existe aujourd’hui entre ces différentes agences certaines d’entre elles travaille à l’élaboration d’un standard de qualité et d’une méthodologie qui viseraient à donner aux investisseurs une échelle de notation commune et transposable à l’échelle européenne.
Quelles conséquences sur les performances financières ?
Enfin, les performances financières des entreprises bien notées sur des critères éthiques sont très proches de la moyenne de toutes les entreprises confondues.
Un débat entre les représentants des agences de notation et le public a conclu la conférence. Les échanges ont porté notamment sur la neutralité des critères appliqués par les agences de notation, ainsi que sur le mode d’organisation et de financement de ces entités.
Article du 19 mai 2004